L'Oeil & l'Encre
des textes sur des images
N°5
Clément, 3 déc. 2011
Devant une forme
Ce devant quoi les mots s’escriment
Tendus vers l’accès dérobé
Puisse-t-il accorder l’intime
Enfin doux aux exacerbés
Oh celui qui longtemps s’abîme
– S’il ne peut d’une encre enjamber
Le Sans-Nom –- tel soir le rédime
Où sa main n’a pas succombé
Quelle était cette forme étrange
Apparue mais sans laisser voir
D’anagogies pour le savoir-
Ecrire ? Au demeurant l’échange
Faisait par grâce a minima
Que d’ignorance il la nommât
Annie
Saisie d’un instant que tu te refuses à laisser passer sans en garder trace. Il s’agit ici de toi, sans doute confortablement installée dans la chaleur de l’avion, de ta présence qui s’affirme dans un reflet. Conscience aiguë de ta propre évanescence, du privilège qu’il y a à être cette conscience ici et maintenant, jubilation d’un début de voyage ou bien désir de retenir une image d’un lieu que tu quittes ? Corps pris dans l’urgence du mouvement de l’appareil, n’ayant pas le loisir d’aller et venir pour mieux cadrer ce second sujet : des arbres pris sous une neige qui, aperçue de l’avion, nous invite à la rejoindre, cotonneuse, enveloppante et douce comme la mémoire trompeuse d’un instant d’enfance.
Richard
Elle vous attire, vous enivre, vous envahit d’une légèreté jouissive. Vous vous laissez malicieusement glisser dans son monde ouaté, sans honte, avec gourmandise, vous vous laissez happer.
Elle ondule, vous charme, vous ensorcelle telle une danseuse habile et voluptueuse.
Séduit par son chant, vous préférez rester en elle, blotti dans ses bras chauds et protecteurs.
Temptation.
G
« So high above the world tonight
The angels watch us sleeping
And underneath a bridge of stars
We dream in safety’s keeping
But perhaps the dream
Is dreaming us”
Sting. “When the Angels fall”
Une flamme de bougie pour un cœur embrasé qui espère.
Ce soir à 17H28, un homme est monté dans un train. Il a quitté Paris en se posant beaucoup de questions.
Il a regardé son alliance.
Il s’est demandé s’il la méritait.
Il a regardé par la fenêtre du wagon.
Le train a quitté le quai. Lentement.
Il a fermé les yeux.
Il n’y avait qu’elle, derrière ses paupières closes.
Il a repensé à tout.
A la rencontre. Aux mails. Aux enjeux. Aux non-dits.
Aux « il ne faut pas dire, rien faire, jamais ».
Il a repensé au mois d’avril dernier. Gare Montparnasse, un lundi matin à 8H30. A cette fille qui achetait ses magazines féminins ridicules, à la Presse Totem, juste devant lui. Sur les couvertures, en gros titres « Comment perdre 5 kilos en 8 jours », « Comment reconquérir Jules », « Horoscope du Printemps en exclu » et « Mon boss est un tyran, que faire ? »
Il a repensé à cette courbure de reins, là, dans le couloir du wagon, alors que cette même fille, faisait tomber sa même pile de magazines à ses pieds.
Il a repensé au fait de s’être baissé sans réfléchir pour l’aider à les ramasser.
Il a repensé à ce « Merci », distancié et froid qu’elle lui adressa avant de baisser les yeux.
Oui, c’est à ce moment précis que l’alliance n’était déjà plus méritée, peut-être… ?
Il a repensé ensuite à ces 3 jours passés avec elle, mais sans directement être avec elle.
Ils étaient, sans le savoir, destinataires d’une même convocation, dans un même lieu.
Il a repensé aux amphithéâtres. Aux jeux de regards. Changer de place mais se manquer à chaque fois. Au chat et à la souris. Au vouvoiement si excitant. A l’attirance. Au magnétisme. A la prière divine de ne jamais se retrouver seul dans un ascenseur avec elle, sous peine du pire.
Il a repensé à ce « rien » si séduisant. Cette parenthèse non ouverte mais non fermée, à ce fantasme jamais réalisé.
Alliance, en ce temps, pourtant méritée.
Il a repensé qu’elle était partie sans lui dire au revoir, ce même mois d’avril... Mais qu’elle s’en était rattrapée d’un mail, en mai.
Il a repensé aux mois qui défilent, à toutes ces fois où il était soulagé de ne plus penser à elle, de s’en foutre, de se dire qu’il ne la croiserait plus.
Il a pensé à l’été.
Il a pensé à toutes les fois où il aurait aimé lui écrire, sans rien avoir à lui dire de tangible et de crédible qui ne laisse penser à de la séduction déplacée.
Il a repensé au rendez-vous manqué, quelques mois plus tard. Sans prévenir…
Il a repensé à ses excuses.
Il a repensé à ses autres mails. .
Il a repensé sa stratégie pour lutter contre la tentation.
Mais ce matin, elle est entrée dans cette salle. Et toute stratégie était ruinée.
Il savait qu’elle viendrait. Il s’y était préparé cependant il n’a pu lutter.
Le train va de plus en plus vite. Aussi vite qu’il imagine la toucher, la sentir, l’embrasser, lui murmurer à l’oreille des choses qu’il n’ose pas dire à sa femme.
Dans son téléphone, un nouveau numéro, un nouveau prénom.
Dans sa tête, une seule intention.
Mais l’alliance, brillante et lisse, le rappelle à la raison.
Il referme son téléphone.
« Quand les anges tombent… »