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N°10

 

Clément G.S.,2012

 

 

 

 

Palimpseste

 

 

 

                                                                                                                                                                                                 V. sur Mer, le 17 déc. 2011

 

 

 

 

 

Voilà que je reviens vers vous, cher B., pour une sorte de suite inattendue à mon courrier de septembre : le rangement de la chambre où votre regretté père séjourna chez nous à plusieurs reprises  a fait découvrir, glissée entre le sommier et le cadre du lit, la lettre sans enveloppe que je vous joins.

 

Je ne l’ai certes pas lue davantage que la précédente, mais il m’a suffit d’y poser un instant le regard pour  reconnaître la graphie caractéristique, douceur et fermeté, de celle dont votre père me parla quelquefois sous l’effet du tourment, vers 96-97, et me força amicalement à lire des passages de lettres pour obtenir mon point de vue sur une relation alors qualifiée par lui de désespérante. 

 

La chambre à présent, coquille vidée d’un passé qui garde son mystère, continue de résonner à mon oreille de souvenirs marquants. Votre père y souffrit, y mûrit, et selon ses propres dires énigmatiques y trouva la clef de sa vie. 

 

Le temps le cède à la mémoire qui n’est pas que mélancolie.

 

Cher B., je vous laisse à la pensée de votre père, en vous assurant de mon amicale proximité. Que les fêtes proches vous soient bonnes. 

 

 

M.

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                                                                                             Rouen, le 16 novembre 1997

 

 

Mon cher, très cher B.,

 

 

Reçue début octobre, votre lettre depuis n’a cessé de cheminer en moi, jusqu’à ce jour que je me suis enfin fixé pour vous répondre en amour et en vérité  par-delà mes approximations et maladresses .

 

Que vous alliez fondamentalement mieux réjouit mon cÅ“ur ! Quant à la raison de cette embellie  – sans doute, comme je vous le souhaite, définitive –, après en avoir beaucoup souffert car elle vous a au moins un temps éloigné de moi,  je l’accepte aujourd’hui et la chéris même puisqu’elle est cause de votre paix retrouvée. 

 

Votre lucidité m’a bien mise à nu, mon B…. Je suis, oui, ce cerf-volant. Mais accordez-moi le recours à une autre métaphore, laquelle reviendra au même tout en correspondant à ma façon de me voir. Accordez-moi d’abord de réfuter « l’ambivalence complaisante Â» où vous jugez que je m’attarde… Non pas. Je suis complexe parce que plurielle. 

 

Depuis le temps que je le sais et que j’y pense, cela s’est visualisé pour moi par l’image d’un palimpseste. Vous savez, ce support de textes ou de représentations qui, par succession verticale, tout en s’oblitérant partiellement gagnent en richesse et n attrait. Oui… Je pourrais par exemple comparer ma façon d’être à une pellicule photographique porteuse de plusieurs couches de prises superposées, lesquelles finissent par former un tel étagement que, fascinée, j’embrasse sa complexité pour tenter de ne rien en perdre. 

 

La profondeur de champ s’évase, les niveaux correspondent entre eux étrangement selon des modalités inédites et souvent renversantes ; plus d’enchaînements mais des accointances, des signes échangés, relancés,  temps et espaces travaillés par un imprévisible qui se joue des règles pour ne suivre que sa fantaisie. Le bord de mer donne sur la montagne ; qui prend la photo est photographié ; de l’enfant qui joue naît une trouée violente, des cactées sont proches de la fatrasie… Les présences trouvent d’autres aises dans la déclinaison de hauteurs. 

 

Là est notre différence, mon très cher B. : à vous la conduite, le tracé   volontaire, le choix de clarté et de cohérence ; à moi l’accueil, même brouillé ou contradictoire, de la totalité. Sa surimpression me bouleverse, comme si d’elle pouvait venir la clef de mon réel. J’aime en vous la puissance du désir alliée à la tendresse. J’y trouve ce que foncièrement vous êtes, un être entier que sa noblesse mènerait jusqu’à l’échec par refus des ambiguïtés. Or, une sorte d’attirance presque émue envers l’insuffisance et la limite m’empêche d’écarter comme vous… l’écartable, je veux dire le médiocre, le pesant, le convenu, ma vie sans vous en somme, qui par contraste fait ressortir précieusement ce que vous avez d’exemplaire et de touchant. Et vous qui voulez mon bonheur – mais le bonheur répond-il jamais au vouloir – vous m’aimez par une exhortation que je trouve à la fois si attachante, troublante aussi, et si vaine…

 

O mon B. ! J’écris trop longuement ! Il faut bien que je me taise. Vous me manquez de plus en plus, comme je crois que je vous manque. Retrouvons-nous quand vous voudrez, sans trop attendre s’il vous plaît, où vous voudrez… La vie qui nous fait cheminer nous change. Je crois qu’à n’importe quelle table de café, dans n’importe quelle chambre d’hôtel, la vérité de la rencontre nous dictera la suite. 

 

Nous savons pouvoir compter l’un sur l’autre en matière de sincérité étrangère aux manÅ“uvres : retrouvons-nous donc bientôt, voyez comme j’insiste, et suivons le signe de nos retrouvailles, quel qu’il puisse être : séparateur ou rassembleur, que sais-je encore. 

 

Je vous le demande et vous embrasse  – amoureusement. 

 

Toujours avec vous et à vous,

 J.

 

 

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