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N°3

 

Clément,  nov. 2011

 

On reviendra

 

Des amis arpenteurs de la très longue plage, ramasseurs d’objets laissés par les marées, qui chaque jour pour le plaisir découvrent.

Tôt le matin avant l’afflux des estivants ils se rencontrent, puis se séparent, s’éloignant au hasard de leurs déplacements.

Ils se retrouvent comme d’habitude un soir en fin de quinzaine et confrontent ce qu’ils ont trouvé.

 

Au rendez-vous,  monture de lunettes californiennes amputée d’une branche, sorte de large bouton ou plaque en laiton portant silhouette d’hippocampe, gros écheveau serré de corde fine, bracelet tressé d’un métal à identifier, menue jarre ocre sans une ébréchure, briquet Zippo à inscriptions asiatiques, immanquables bois flottés de belle tournure selon le temps d’immersion et l’humeur des vagues, boulon énorme avec, fixé par la rouille, son boulon à rondelle, balles de ping-pong miraculées, dessous de plat en cuivre en forme de tortue sans tête, manche de corne striée divorcé de sa lame.

 

A part ces pièces qu’ils se montrent, du négligeable à peine mentionné, débris divers, restes de troncs et de branches, sacs et autres objets en plastique, plumes engoudronnées, cuirs déchiquetés, sandales, semelles, clous et compagnie, casquettes, bribes de filets, emballages…

─ De plus en plus dégueulasse, la mer. Plus envie de me baigner.

─ Propre au contraire, et tellement qu’elle se lave. Alors elle rejette les saletés au bord de sa baignoire. 

─ Mais après faudrait nettoyer.

─ D’toutes façons y’a des trésors dans les déchets, la preuve.

─ Justement. Toi par exemple, t’as bien gardé quelque chose pour la surprise ?

─ Et toi, donc ?

─ Vous ?

 

L’un commence à tirer de son sac ;  les autres de suivre. 

─ Regardez.

─ Comme un tamis.

─ C’est ça. Grand. Visez la teinte.

─ Bois exotique. Des lamelles croisées. Presque intact.

─ Ça peut encore servir. Du moins à décorer.

(…)

─ Moi, j’allais me rentrer, j’ai touché ça du pied. 

─ Du fer forgé.

─ A mon avis, le haut d’une petite ancre, avec sa boucle.

─ Pas trop de rouille. 

─ Faudrait trouver à  lui refaire les bras.

─ …Ou pas.

(…)

─ Voilà simplement du pas ordinaire. Un galet foré on se demande comment. Sûr que c’est la mer, voyez le tour que ça a pris. Mais pas traversé, et avec cette agathe de gosse coincée dedans !

Ils se le passent, observent, touchent. Mines entendues.

(…)

─ Et toi, tu montres ?

─ Oui mais là-bas… Pas très loin des pédalos au sec et un peu en retrait.

─ Pas dans ton sac ?

─ Ça n’est pas transportable.

─ Trop lourd, volumineux ?

─ Du tout.

─ Alors ?

─ Alors venez.

Trois cents mètres et il s’arrête, eux aussi. Ils se regardent. Rien en vue.

─ T’es pas sérieux !

─ Approchez. 

 

Le dégageant peu à peu du sable dont il l’a  recouvert, il met à jour une espèce de cordage très clair. Le cordage court droit sur de longs mètres sans montrer ses extrémités. On ne sait pas où elles se trouvent, on se demande s’il y en a.

─ Ça  se prolonge par-dessous, peut-être en profondeur. L’ai suivi sur une distance. Semble s’enfoncer, ne sais pas au juste.

─ Vous avez vu ? On dirait du neuf.

─ Oui… Travail du sel, mais sans ronger. Jamais vu. 

─ S’il est interminable, sauf si on le coupe, pas moyen.

─ Pour moi, s’il est là qu’il y reste. Déjà bien de l’avoir trouvé.

─ Ça pourrait être une anse.

─ Un peu raide, ton anse, et plein de sable, ton panier !

─ Moi j’aimerais quand même bien savoir ce qu’on trouve au bout du bout et dans les deux sens.

─ Des barques enterrées ou quelque chose du genre.

─ Deux pendus discrétos.

─ Des balises à la retraite, du temps où la mer était plus haute.

─ Qu’est-ce que vous allez pas inventer !

─ C’est permis quand même, non ?

─ Oui, mais non. C’est rien ou presque. Ça relie seulement, voilà. Mais quoi, j’ignore.

─ Du moins en attendant.

─ Oui, on verra bien. 

─ Comme un fil et rien d’autre. Suffira de ne pas le perdre.

─ Et puis d’toutes manières on reviendra. Se fait tard, d’ailleurs.

A petites pelletées de la main ils le dissimulent sous des vagues blondes et prennent des repères pour retrouver l’endroit.

─ …Bon, alors à la prochaine.  Ici même ?

 

 

 

Annie

 

Sur la plage abandonnée, coquillages et crustacées...

Hum... Mots presque ridiculement arrachés au forceps ; hésitations, balbutiements, retours en arrière à coup de « Edition/ défaire »... 

Que de travail pour cette photographie qui nous parle de loisirs...

J'aurai décidément beaucoup fait attendre ces petites embarcations, soigneusement rangées sur la plage manifestement presque déserte à cette heure...

Tableau du « calme après la tempête » ; sérénité retrouvée après une journée que j'imagine bruyante ? 

Bravoure ou franche bravitude de ces frêles embarcations, tellement contemporaines et prosaïques face à la mer formidable, pour moi indissociable d'un imaginaire résolument romantique... Rencontre du troisième type, donc.

Ou, malgré l'apparente légèreté du motif, gravité, voire mélancolie d'une image qui nous parle d'absence, de silence et d'immobilité... et donc de l'urgence de vivre ?

Il y a aussi cette corde robuste : lignes parallèles, à nouveau, et lien solide entre terre et mer...

 

 

 

Richard

 

On a rentré les pédalos,

On ne mettra plus les pieds dans l’eau,

L’été est bel et bien fini,

Pour nous tous qui sommes ici,

Ah ! Qu’elles étaient belles ces vacances,

Dans le manoir de tante Hortense,

Elle nous faisait de bons gâteaux,

Y avait Agnès, Mary et Lino,

Elle nous aimait plus fort que tout,

On le savait au plus profond de nous,

A présent Hortense n’est plus,

Agnès, Mary et Lino non plus,

Je reste seul face à la mer,

Avec mes souvenirs doux… et amers,

L’été est bel et bien fini,

Pour moi qui reste seul ici.

 

 

 

G

 

Lorsque nous arrivons à destination, le ciel s’est voilé de nuages. La lumière s'est affaiblie. 

Le froid humide nous pénètre jusqu'aux os, à moins que cette sensation ne soit simplement familière à l'émotion des souvenirs qui nous saisissent en cet instant.

 

Sur le sable, les fantômes de notre passé ont laissé des traces afin de nous guider jusqu'à la mer.

 

Il fixe vers l'horizon, un rictus au bord des lèvres me laissant imaginer qu'il dira bientôt quelque chose. 

Je ne vois qu'une partie de son visage, dissimulé par la capuche de son sweat-shirt gris.

Il semble satisfait de se retrouver ici, ensemble, après toutes ces années de silence et les retrouvailles qui nous ont touchés depuis peu. 

 

• J'ai détesté cet endroit pendant des jours entiers, dit-il.

• Je suis désolée.

• Désolée... La désolation, tu ne sais pas ce que c'est. Je pense que tu ne l'as jamais su. Nombreux sont les gens qui utilisent ce mot sans savoir de quoi ils parlent en l’évoquant.

• Je te fais mes excuses, une fois de plus. Cent fois s'il le fallait, 

• Tu crois vraiment que c'est à cause de toi que je déteste ce lieu ?

• Oui, puisque la rupture de notre histoire était…”, je ne parviens pas à conclure mon propos.

 

Il hoche la tête en souriant. Son regard reste figé vers la mer. 

 

• Avant que cela ne se termine, c'est ici que tout est né. Grâce à toi », reprend-il. « Je détestais cet endroit avant que tu n'y apparaisses, tout simplement. Je le détestais jusqu'à ce que je te vois, sur le sable, avec ton walkman Sony jaune et ton joli maillot de bains 2 pièces rose bonbon à carreaux vichy. 14 ans et déjà une fashion victime... 

 

Je reste interdite. Je serais incapable de confirmer que ce jour-là je portais un maillot de cette couleur.

 

• Je me suis mis à adorer cet endroit, et cette vie d'ailleurs », poursuit-il. « Le jour où tu m'as regardé, avec insistance, assise sur ta serviette de petite enfant gâtée... Tu m'as souri. J'ai eu l'impression d'exister pour la première fois. D'être là. D'être vivant. Tout prenait un sens : te regarder, imaginer qui tu étais, et bientôt de te parler…

• Pour te demander de me prêter des piles pour le Walkman jaune justement. J'en ai presque honte !!

• Mais Dieu merci tu l'as fait! Je t’ai prêté des piles certes… C’est anodin pour toi, voire ridicule mais sans cela, pendant très très très longtemps encore, je serai resté le garçon invisible et infréquentable.

• Tu me plaisais.

• Je n'en ai jamais douté, même lorsqu'un mois plus tard, à la reprise des cours, tu ne me parlais plus en public.

• J'étais une idiote.

• Non, tu faisais partie d'un groupe. Tu étais socialisée, ce qui n'était pas mon cas.

• C'est faux. J'aurais du assumer, leur dire, t'intégrer dans mon groupe d'amis. 

• Cela ne m’intéressait pas. Je préférais ton ignorance à mi-temps et sa contrepartie lorsque nous nous retrouvions secrètement, que l'idée de devoir rivaliser chaque minute en public avec tes harpies de camarades et tes copains débiles.

 

Southampton est souvent désert à cette période de l’année. Les touristes ne commencent à affluer qu’aux beaux jours, dès la fin du mois d’avril. 

Nous avançons lentement le long du littoral, en suivant les traces de nos grâces et de nos démons.

 

Je regarde la mer, émerveillée. 

Elle m’avait tant manquée. Je passais toutes mes vacances d’été ici lorsque j’étais enfant, puis adolescente. Des souvenirs remontent à la surface, autant que ma peine à repenser au jour mon père a refermé définitivement la maison de famille, il y a bien longtemps maintenant. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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