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N°14

 

Clément

 

Si la représentation inscrite dans la photo capte d’abord et comme principalement mon regard, l’identifier et préciser son statut passe par du temps et de l’attention sur elle et ce qui l’entoure. Cette attention va me faire découvrir les jeux d’intra-connectivité qui tissent tout ce donné à voir.

 

Dans une sorte de grande pièce obscure où je devine la structure du plafond, peut-être un hangar utilisable à des fins d’exposition ou d’atelier, cette représentation occupe en partie un mur ou une paroi confinant au noir. Le contraste intensifie la luminosité brumeuse de sa présence. 

 

Cet espace confiné reçoit un peu de lumière. Elle s’introduit à droite par une  porte sans battant et s’engage un peu vers le fond, éventuellement relayée par ce que la fine raie verticale parallèle au bord droit de la représentation semble laisser supposer au-delà, dans l’invisible. L’autre côté de l’ouverture n’est guère accessible au regard que par un biais étroit. Un passage peut-être, des sortes de degrés en échelle, irréguliers et de facture sommaire, comme des coulisses non finies. 

 

De format rectangulaire horizontal, à mi-hauteur, la représentation est délimitée en haut, en bas et à droite par le fond très sombre de son support. J’ignore d’abord si vers la gauche elle se prolonge au-delà du cadre de la photo avec lequel la fin de sa visibilité apparemment coïncide ; à mieux observer, je constate que non au mince liseré noir qui  juste avant le cadre la borne.  

 

S’agit-il d’une vue filmique projetée, d’une photo ou un tableau accroché, ou encore d’une fresque ? Un examen précis me pousse à répondre. Le léger défaut d’horizontalité qui la fait pencher vers la droite en déformant son contour rectangulaire et la linéarité imparfaite du bord droit (presque imperceptiblement convexe et avec un minime décroché vers le bas) me font penser au défaut d’assise d’un projecteur et à une mince usure  latérale de pellicule, et par là conclure à la projection d’une vue diapositive ou filmique. Ainsi la photo est-elle riche, parmi d’autres avantages,  d’un axe  allant du projecteur invisible – auquel, dans l’en deçà de son cadre, je me trouve implicitement associé  en tant que  sujet regardant –, jusqu’au champ illimité que dégage la vue projetée. 

 

L’espace global de la photo 14 entrecroise l’équilibre des valeurs et nuances chromatiques (degrés du sombre, luminosité de la représentation, répartition de l’apport latéral de clarté), une dissymétrie dynamisante résultant des positions différemment excentrées de la vue projetée et de l’embrasure, le jeu des plans perpendiculaires de celles-ci, et le  traitement suggestif des profondeurs. L’ensemble, loin d’être figé, respire au point que je l’identifie comme un agencement provisoire, disponible, évolutif. Une intelligence du Beau le présente et l’anime. Le Beau ici, effectif et en devenir, guide  une songerie spatiale renouvelée. 

 

La vue projetée ajoute à  cette songerie pensive par son enchâssement  au cÅ“ur de la photo  et ses possibles entretenus. Le rapport spatial entre son contenant (la photo 14) et son contenu s’inverse par l’évasement du clos vers un paysage ouvert, indéfini, peut-être océanique, dont des bandes horizontales estompées assurent la fusion gris-bleu dans l’immense. Sur la droite, une silhouette humaine identifiable mais comme gagnée par ce vaporeux, se trouve à la fois démarquée du paysage et insérée en lui. La question de la position frontale ou dorsale du personnage se pose à moi. Les deux options cohabitent sans qu’une interprétation l’emporte nettement, malgré une légère préférence pour la dorsale à partir de la tête traitée en brun, ce qui correspondrait à l’arrière chevelu. Dans cette hypothèse, le personnage relaie par son point de vue celui du visiteur que je suis (non sans  analogie avec l’axe en profondeur souligné plus haut), contribuant à m’intégrer dans l’économie globale. Dans l’autre, on passerait de cet effet d’enfilade à l’éventail de suggestions, dont les scopiques, du vis-à-vis. De même, rien ne me prouve sans appel que le sujet soit statique ou qu’il marche.  Hésitations ou ambivalences qui, portées par le flou de la facture photographique, me semblent renvoyer à une philosophie esthétique retenant au moins pour étape l’indéterminé.

 

Les variables visitables de la vue projetée confirment et amplifient celles de toute la photo 14, accomplissant la caractéristique foncière de ce qui se  propose ici à la méditation du regard : de puissants potentiels et la déclinaison souple, aérée, d’un présent en attente ou en disponibilité d’achèvement. En d’autres termes, à mes yeux, des harmoniques dont le concours produit tout un espace multiple et vivant informé par la conduite tâtonnante d’ouvrage en atelier .  

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