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N°1



de Clément, 23 oct. 11 

 

Il hésitait quant au chemin à prendre

Chemin de fer me fera trop précis

Chemin de fleuve au loin va me répandre

 

Passer le temps à rester indécis

Que mes regards regardants m’en délivrent

Et que je voie maintenant et ici

 

Comme le jour premier ouvrait un livre

Il y trouva sur fond blanc ce qui noir

Traçait un fil cheminant à poursuivre

 

 

 

de Annie, 25 oct. 11

 

"Bons baisers de... où nous passons..." ; premier regard sur l'écran de l'IPhone, où se dégage d'emblée une esthétique de carte postale... Ce fameux coucher de soleil sur la mer, vu mille et une fois...   

 Finalement non : dans l'ombre, écrasés sous tant de ciel, des rails ; ici fait signe vers un ailleurs dont on ne sait rien.                                

 "Où nous passons" : c'est cela, il s'agit ici d'un passage et non de l'habituel "agréable séjour".             

 Ici ne saurait être satisfaisant, il faut se mettre en mouvement, partir : infinité de destinations possibles,  presque impasse d'un éventuel Finistère, s'ouvrant ensuite à nouveau par la mer? Ou bien retour paradoxal, alors que tout invite à l'échappée, vers un foyer, un vrai lieu où entrer en résonance. Sagesse antique du présocratique Héraclite, accueillant des visiteurs dans sa cuisine : "Ici aussi, les dieux sont présents". 

 

 

 

de Richard,

 

Ah ! Je vous l’annonce tout de go chers lecteurs, j’aime bien mieux l’asphalte à la mer.

 

Je sais, je vais encore m’attirer les foudres de mes congénères. Ils n’ont de cesse de me vanter les vertus de la mer, son iode, son clapotis.

 

Au diable mes congénères ! Envasés dans leurs habitudes, incapables d’admirer le balai des nuages, le ciel mordoré lorsque le soleil décide de tirer sa révérence. 

 

Comment faites-vous, chers congénères, pour vous élever alors que vous usez votre temps les yeux rivés au sol pour vous sustenter ?

 

Je vous le dis, je n’ai aucune envie de passer mon temps le bec dans l’eau et entendez bien, je n’ai jamais, jamais, jamais eu l’instinct grégaire. Tous, m’entendez-vous, tous des moutons qui suivent le mouvement en vous conformant aux règles établies et imposés au groupe.

 

Imaginez-vous chers lecteurs que je ne dispose même plus de la liberté de décider de la direction que je veux emprunter. Un comble pour le grand voyageur que je suis censé être !

 

Cap à l’est ? Très bien, mettons donc tous le cap à l’est puisqu’il n’y pas d’autres options. Non ! Arrêtez tout ! Je veux mettre le cap à l’ouest et profiter encore et encore du soleil couchant. Je veux pouvoir me repaître des derniers rayons de la journée qui viennent s’éteindre et mourir sur l’asphalte.

 

Ecoutez-moi tous, libérez-vous du joug de la douce musique mécanique du quotidien qui vous broie, vous hache menu, vous empêche de penser et de décider librement. Suivez-moi sur l’asphalte, quittez ces marécages, prenez la route à mes côtes et allons découvrir de nouveaux soleils couchants.

 

Signé Gipsy Walter, le flamant rose camarguais pétri de liberté.

 

 

 

de G,

 

Il aime ‘Sur la Route’ de Jack Kérouac.

Son album préféré des Doors est ‘L.A. Woman’.

La dernière fois que nous nous sommes retrouvés ici, il venait de braquer une station service et cherchait un alibi à son geste.

Il cherchait un alibi pour la modique somme de 179 dollars.

Peu cher payé pour risquer la prison ferme, quand on est déjà en sursis.

 

Johnny a toujours vu en moi son alibi.

Son alibi à la petite délinquance, son alibi à ses cavales, son alibi à l’attention des femmes dont il abusait de la confiance.

Et moi, j’ai toujours aimé être l’alibi de Johnny. 

A force de croire que je lui étais utile, j’ai fini par me considérer comme indispensable à sa petite existence de gangster de seconde zone.

Et d’alibi en alibi, il est surtout devenu le mien. Mon alibi à la vie normale et conventionnelle.

Accepter de couvrir Johnny, c’est une façon de pimenter cette vie de merde, du haut des talons aiguilles de mes soirées d’entraineuse pour bar à faveurs minables.

 

Johnny, c’est l’alibi au prince charmant qui n’existe pas.

Il revient 8 jours. Il disparaît une année. Et me demande en mariage tous les 3 ans.

J’ai toujours refusé, en sachant que cette chose nous arriverait pourtant un jour. 

 

A force d’être l’alibi de quelqu’un, vous lui sauvez tellement la vie qu’il vous est redevable de plus en plus de choses.

Et moi, j’ai envie de dire à Johnny qu’il est temps de prendre ses putains de responsabilités.

Et je vais le faire ici.

A Cape Canal.

Californie.

20H30.

Le 19 aout.

Dans moins de 10 minutes.

 

La moiteur ambiante me tourne la tête. 

Je me demande ce qu’il a bien pu braquer cette fois-ci.

Tant que ce n’est pas le cœur d’une autre, ça ira. Je suis prête à tout endurer sauf l’aveu d’un nouvel alibi qui évincerait ma raison d’être le sien.

 

J’allume une cigarette.

 

Au loin, j’entends le moteur d’une voiture derrière moi.

Elle se gare dans un nuage de fumée.

 

Il aime ‘Sur la Route’ de Jack Kérouac.

Son album préféré des Doors est ‘L.A. Woman’.

Et il roule désormais en Ford Mustang.

 

 

 

de Aline,

 

C’était assurément l’endroit le plus étourdissant et assourdissant de toute la côte. Quinze ans auparavant, il était arrivé ici et n’en avait plus bougé. Il avait d’abord arpenté la rive de long en large, sur des centaines de mètres, le regard dardant le cours éternellement en fuite de l’eau, à la recherche du gué idéal pour passer de l’autre côté. Il connaissait par cÅ“ur le grain des flots piquetés par les aiguillées de pluie ; le moutonnement délicat des vagues sous la houle ; le plan immobile et aveuglant du miroir liquide durant les heures caniculaires et les écailles irisées du léviathan sous les clairs de lune. Les fluides trains expresse avaient fouetté ses désirs, puis les lourds convois de marchandises, écrasé ses rêves. Maintenant, il venait à la fin de chaque après-midi, s’asseoir exactement à la même place, le dos tourné aux ronflements lents et continus du trafic autoroutier. Les épaules basses et la nuque raide, il était la longue perche fichée dans le courant d’eau à sa droite. Fixe et ténu dans un univers mouvant et vibrant. Autour de lui, le monde avait changé selon ses vÅ“ux. Maintenant les bateaux derrière la digue étaient proches. Et en liseré sur la ligne sombre de l’horizon, les aveuglantes rampes au néon de l’aéroport qui, du crépuscule à l’aube, sertissaient le paysage, figuraient un décor comme un autre. La traversée devenue possible, ne l’intéressait plus. Ne comptait dorénavant que sa pause entre les passages du dix-neuf heures quarante sept et du vingt heures onze. Vingt-quatre minutes de rituel contemplatif sur son chemin de halage, à sonder son point d’ancrage, à méditer l’énigme de son arrivée.

 

 

 

 

 

 

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